Tatouage Polynésien : histoire, symbolique et motifs des tatau Polynésiens


Polynésie, iles du pacifique sud
Polynésie, iles du pacifique sud

La Polynésie Française est un ensemble d’archipels d’îles situé au milieu de l’océan Pacifique Sud, réputé pour être à l’origine d’une des formes de tatouage traditionnel les plus importantes et les mieux intégrées dans un modèle social. Pour comprendre les différents styles de tatouages polynésiens (Marquisien, Tahitien), et les différencier, il convient de comprendre quelques notions géographiques concernant les archipels d’îles du Pacifique sud. La Polynésie est française depuis 1958, il s’agit d’une collectivité d’outre-mer appelée un P.O.M (depuis la réforme de 2003 sur le statu des DOM-TOM, POM signifie Pays d’Outre-Mer au sein de la république et s’applique également à la Nouvelle-Calédonie).

Le mot « Polynésie » vient originellement des termes grecs « πολύς », ou « polus », qui signifie « nombreuses  » et « νῆσος », ou « nēsos », « îles« . Ces « iles nombreuses » couvrent en effet sur l’ensemble de leur étendue une surface équivalente à une grande partie de l’Europe occidentale. Ces notions géographiques et la dispersion de ces îles est importante pour comprendre la différence culturelle qui peut exister entre la Polynésie et des cultures également liées au tatouage comme les Samoa ou Maori.

La Polynésie est en réalité un ensemble de 5 grands archipels d’îles appelés :

L’archipel des Marquises au nord, qui comprend deux principaux groupes d’îles : le groupe septentrional de Nuku-Hiva, Eiao, Ua-Pou et Ua-Huka, et le groupe méridionnal de Hiva-Hoa, Tahuata, Moho Tani, Fatu-Hiva. Les Marquises sont un haut-lieu du tatouage Polynésien

L’archipel de La Société au centre et à l’Ouest, où se trouve la capitale de la Polynésie Française, Papeete (sur l’île de Tahiti, la plus grande de Polynésie) et comprenant deux groupes d’îles et d’atolls : Les îles sous le vent (Bora-Bora, Huahine, Maupiti, Raiatea et Tahaa, les atolls de Manuae, Maupihaa, Motu One et Tupai) et les îles du vent (Tahiti, Moorea, Maiao, Mehetia, l’atoll de Tetiaroa)

L’archipel des Tuamotu, situé à l’Est, est composé de 78 atolls dont les principaux sont Anaa, Fakarava, Hao, Puka-Puka, Makemo, Manihi, Rangiroa, Tikehau et Mataiva

L’archipel des Gambier, encore plus à l’Est, forme avec les Tuamotu la subdivision administrative Tuamotu-Gambier. Cet archipel est composé de 14 Iles dont la principale et la seule à être habitée de manière permanente est Mangareva. Citons également les îles de Taravai, Aukena, ou encore Akamaru

L’archipel des Australes, dont la plus grande Ile est Tubuai, est situé au sud de Tahiti et comporte 5 Iles principales dont bien sur Tubuai, Rurutu, Rapa, Raivavae et Rimatara

Polynesiens tahitiens tatoués
Polynesiens tahitiens tatoués

Le principal groupes ethnique est la population originelle des Ma’ohis, auxquels s’ajoutent ainsi que des groupes ethniques plus ou moins métissés avec les populations Occidentales ou Chinoises. C’est dans l’archipel de La société que l’on retrouve probablement les origines les plus anciennes du Tatau polynésien (Tatau = Action du tatoueur), avec la civilisation Ma’ohi. Cest de là que les habitants des îles Marquises et les maori auraient importé cette pratique, d’origine divine selon la légende.

La légende raconte en effet que pendant la période « Po » (temps obscurs), les deux fils du dieu Ta’aroa, la principale divinité tahitienne, étaient prénommés Mata Mata Arahu (« qui imprime avec du charbon de bois ») et Tu Ra’i Po (« qui réside dans le ciel obscur »). Ils auraient inventé le tatouage pour séduire Pahio, la fille du premier homme, Ti’i, et de la première femme, Hina. Pahio était gardée en captivité sa mère afin de préserver sa virginité. Les deux Dieux auraient donc ornés leurs corps de tatouages, portant un motif de Tatau appelé Tao Maro Mata et l’auraient arrachée à sa captivité en lui transmettant le désir de se faire tatouer elle aussi. Les fils de Ta’aroa, devenus les dieux du tatouage, auraient ensuite enseigné les techniques des tatouages aux hommes, qui l’appréciaient beaucoup.

Le tatouage Polynésien est donc, de par ses origines divines, destiné à l’usage des classes sociales de rang élevé : Dieux, prêtres, rois et chefs et leurs descendants. Les classes supérieures affichaient ainsi leur différenciation sociale. Il s’agit d’un type de tatouage appelé Hui Ari’i et Arioi réservés aux chefs (hommes et femmes). Comme le remarqua (Ch. L. Clavel médecin-major sur le Hugon au 19éme siècle lors de son séjour aux Marquises, le fait de ne pas être tatoué interdisait la consommation de chair humaine, « une main dont la face dorsale n’était pas embellie des phalangettes jusqu’au poignet, ne pouvait puiser sa part de « popoï » dans le plat commun ». E. Robarts, un marin anglais, guide et interprète ayant séjourné aux Marquises au 19ème siècle rapporte notamment qu’il avait dû se faire tatouer un motif sur la poitrine afin d’être nourri lors d’une période de famine.

De là également vient la pratique, encore perpétuée par les anciens, qui consiste à ne pas utiliser les mêmes motifs pour orner le corps et les autres formes d’art ou artisanat. Le tatouage sur le corps conférant au divin, un motif de tattoo ne sera pas utilisé sur une poterie par exemple. Dans le même ordre idée, un Tatau doit être réellement unique et il est courant que les authentiques Tahuna (« spécialistes », nom des tatoueurs traditionnels) refuse de tatouer deux fois un même motif, la reproduction ne faisant pas partie des coutumes de tatouage en Polynésie, où le Tatau reflète l’âme de celui qui le porte.

Modèle tatouage tiki polynesien
Modèle tatouage tiki polynesien

Le terme Etua signifie « Divin »et se rapporte à une représentation divine des ancêtres, les aïeux acquérant ce statut plusieurs siècles après leur mort sur terre. On retrouve ces Etua sous forme de Tiki (homme, Dieu ou homme-dieu) représenté dans de nombreuses sculptures, peintures, poteries et bien sur l’un des motifs de tatouages les plus utilisés. Souvent le Tiki est représenté par les descendants avec un soleil qui l’encercle : Le tatouage de tiki est un symbole de protection et de puissance pour le porteur

Le tatau polynésien regroupe une importante variété de motifs codifiés et à la symbolique relative au domaine du sacré, du surnaturel, du rapport de l’homme aux éléments naturels qui l’entourent (la mer, le soleil, la lune, les arbres, les plantes, fleurs d’hibiscus, les animaux, l’être humain, les Dieux). Les animaux sont aujourd’hui des motifs de tatouages polynésiens particulièrement populaires : margouillats, salamandres et lézards pour l’élément terrestre, raies, requins marteaux, tortues et dauphins pour l’élément maritime, oiseaux et tiki pour le ciel et le divin.

La particularité du tattoo Polynésien est également de donner une très grande part de ses motifs aux formes géométriques, qui délimitent systématiquement les autres motifs plus figuratifs : lignes et lignes brisées, étoiles, triangles opposés, cercles, spirales, losanges, zig-zag, chevrons. Beaucoup de ces motifs géométriques sont issus d’instruments et d’ustensiles de la vie quotidienne dans les îles (paniers tressés, feuilles de palme, nattes…)

Le tatouage peut également refléter la vie sociale des polynésiens, en relatant par des motifs les combats et les guerres, les sacrifices et autres évènements importants. Les guerriers ayant prouvé leur valeur au combat aspiraient ainsi à rejoindre leurs ancêtre parmi les dieux. Cette décision revenait aux Ari’i (rois), qui attribuaient de nouveaux tatouages en fonction des mérites de leurs guerriers. Les hommes les plus abondamment tatoués, souvent sur tout le corps, étaient donc considérés comme des hommes valeureux.

A part quelques guerriers ou prêtres on tatouait plus rarement le visage en Polynésie, souvent d’un unique emblème sur les lèvres ou le front. Chez les marquisiens en revanche, l’accomplissement du tatouage allait jusqu’à l’intégralité du corps et démontrait une grande puissance sociale affichée : le crâne, la paume de la mains étaient tatoués, et on allait parfois jusqu’à tatouer les paupières, les narines, la langue, ou encore les gencives. La résistance à la douleur était également une preuve supplémentaire de la valeur des tatoués.

Tatau marquisien traditionnel
Tatau marquisien traditionnel
Le style de tatouage des îles Marquises se différencie ainsi du reste de la Polynésie par une densité des motifs particulièrement chargée. Les guerriers marquisiens portaient souvent un long tatouage à travers le visage, comme un bandeau sur les yeux, partant des oreilles. Les noms des tatouages destinés aux chefs de guerre s’appellaient Hui To’a, Hui Ra’atira, ou encore Iato’ai, tandis que le peuple (hors danseurs, rameurs ou guerriers) sans ascendance de classe supérieure portait un type de tatouage appelé Manahune

Chez les hommes, le tatouage commençait généralement très tôt, entre 11 et 12 ans. Il fallait généralement attendre la trentaine pour compléter leur panoplie de tatouages sur tout le corps. Chez les femmes, le tatouage avait une vocation plus ornementale et destinée à la séduction. Les motifs sont donc dès l’origine plus localisés sur les parties charnues, comme un attrait sexuel plus élégant, une véritable parure. Les filles étaient tatouées dès 8 ans afin d’arriver avec des tatouages à l’âge de la puberté. Les tataus des femmes polynésiennes sont constitués généralement de fines lignes sur la tête, qui suivent de contour des lèvres. Sont également tatoués le bas du dos, les jambes et les épaules. Les mains et les doigts étaient recouverts de tatouages particulièrement fins et aux motifs travaillés comme des parures de bijoux. Les femmes Polynésiennes aux mains et pieds non tatoués étaient généralement considérées comme laides et repoussantes

Le tatouage traditionnel Polynésien est une opération douloureuse. La cérémonie ne comportait généralement qu’une seule séance, lors de laquelle les ancêtres et leurs esprits étaient invoqués pour rendre le tatouage parfait et ses lignes harmonieuses et belles à regarder. Les deux dieux du tatouages étaient généralement présents sous forme de représentations sculptées. La cérémonie concernait souvent des groupes de jeunes garçons s’accompagnait de chants et de danses, au son musical des tambours, flutes et conques, les instruments traditionnels

Histoire du tatau polynesien
Histoire du tatau polynesien
Sur les îles Marquises, la technique utilisée pour tatouer est appelée « e patu tiki ». Le peigne servant au tatouage avec ses pointes taillées dans de l’os ou des écailles de tortue porte le nom de « Ta’a patu tiki » et le maillet en bois servant à taper sur la lame est le « ta patu tiki ». L’encre était issu d’une suie provenant de la combustion d’amandes d’Aleurites ou de noix de bancoule, recueillie au dessus de la flamme dans une demi-noix de coco et mélangé à de l’eau ou du lait de coco. L’acte du tatouage était réalisé dans la maison du tatoueur, le « tahuka patu tiki » et l’accès en était interdit (« tapu »), surtout pour les femmes. Les motifs étaient au préalable dessinés sur la peau avec du charbon.

Les religions importées d’occident par les missionaires en Polynésie française à partir du 19ème siècle, tout particulièrement à Tahiti, ont été la cause principale du déclin de la pratique du tatouage dans les îles, les divinités de la culture Ma’ohi étaient considérées comme païennes, de même que la polyandrie et la consommation de viande humaine. De par sa connotation divine, le tatau polynésien a donc fait l’objet de nombreux débats au sein d autorités religieuses françaises jusqu’au début du 20ème siècle sur l’opportunité de tolérer ou non cette coutume « déviante » touchant à la « mutilation ». Au cours de cette période, les effets conjugués du prosélytisme occidental et de la gêne des natifs convertis, des Marquisiens notamment, à être considérés comme des bêtes curieuses en raison de leurs tatouages, ont conduit la pratique vers une désuétude découlant de l’acceptation des coutumes des nouveaux arrivants au pouvoir. On considère donc que le tatouage polynésien s’est pratiquement éteint avant la fin de la première moitié du 20ème siècle.

Tatouage sur le visage femme tahiti
Tatouage sur le visage femme tahiti
Le renouveau de l’art du tatouage à Tahiti et sa renaissance dans les îles du pacifique sud date approximativement des années 1980, et est due en grande partie aux concours organisés par les tatoueurs venus de l’archipel des Samoa (état indépendant de la Polynésie) lors des fêtes du Tiurai de 1982 (fêtes de juillet, paradoxalement remises au goût du jour pour commémorer la prise de la Bastille). La sauvegarde des coutumes polynésiennes, danses, artisanat, concours de lever de pierre, de lancer de javelot, de pirogue commence dès lors a prendre de l’importance. Avec le concours de personnalités comme Raymond Graffe, le grand maître polynésien du tatouage ou d’autres personnalités telles que Teve, un Samoan intégralement tatoué qui revenait alors d’Hawaï, l’artiste Bobby Holcomb, ou le musicien Angelo Aritaii Neuffer, un vente de tradition souffle sur la Polynésie, en quête de son identité ma’ohi, Te Ta’ere Ma’ohi. Il est intéressant de constater que les multiples influences qui ont contribué à la disparition du tatouage n’ont aucunement altéré ni les méthodes ni la manière de tatouer.


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